La transat en solitaire:

A Saint Martin, c'est la préparation du bateau.

Sur les pontons, la question que l'on se pose entre marins est : Combien de bidons tu as? En effet c'est un peu l'escalade en prévision des calmes qui sont sur la route. Finalement je pars avec 9 jerrycans de 20 litres. Je fais des courses de conserves et de frais. J'ai largement de quoi tenir deux mois...

Le stress monte au fur et à mesure que l'échéance du départ approche. Je sympathise avec Grandmimi, Pytheas 2 (bateau belge), Antinea, Canace (bateau finlandais). Avec-Dro qui devait aller sur les Bermudes décide finalement d'aller lui aussi directement sur les Açores. Nous retardons plusieurs fois le départ pour éviter des calmes plats.

Cette transat je l'ai voulu en solitaire, envie de me retrouver tout seul dans cette immensité, mais avant le départ c'est un peu la peur qui m'habite. Peur de ce qui peut m'arriver, peur de ne pas arriver à surmonter les difficultés à venir. Comme toujours l'attente du départ est le plus pénible.

Finalement le 7 mai, Pytheas 2, Avel-Dro, Canace, Unique Dream (bateau allemand) et moi partons par une belle brise de travers et grand soleil. Avel-Dro et moi allons naviguer de concert. Au début a vue, ensuite nous échangeons des mails et un appel sur le téléphone satellite chaque jour à la même heure.

La vie à bord s'organise. Le matin tôt, au lever du jour, vérification de la direction du bateau et du réglage des voiles, échange de mail avec le routeur. Je lui donne ma position, il me renvoie les informations sur le temps (vent houle et pression pour les 4 jours) et me conseille une route à suivre. Ensuite petit déjeuner, lecture, petit sommeil si besoin, repas de midi (en général salade), point avec report sur la carte et journal de bord, appel téléphonique avec Avel-Dro, lecture, quand il fait chaud douche avec le seau, repas chaud du soir, préparation du bateau pour la nuit., coucher tôt à la nuit tombante. Pendant la nuit si je me réveille de moi-même je me lève pour vérifier que tout va bien (direction, vitesse, réglage des voiles, et tour d'horizon pour surveiller la présence éventuelle d'un autre bateau. Souvent la nuit je suis réveillé par une alarme sur l'AIS qui me signale la présence d'un cargo à proximité.

Beaucoup de temps se passe en lecture, sudoku,vie intérieure, contemplation des éléments qui m'entourent.

Les dix premiers jours c'est du petit temps. Quand il n'y a pas de vent j'hésite à mettre le moteur, car il faut garder du gas-oil pour l'arrivée. La pire journée en termes de distance parcourue est le 16 mai avec 32 miles. Ensuite je tire des bords sur plusieurs centaines de miles et il en reste 1500...

Le 21 mai après quelques grains, le vent se lève régulièrement, et pendant 5 jours il me permettra de bien avancer. Je suis même amené à ralentir le bateau pour qu'il ne tape pas trop fort dans les vagues.

Le 27 mai Avel-Dro me signale que leur mât a cassé. Michel a pu laisser dans l'eau mât et voile. Ils remontent au moteur vers Flores. Je vais à leur rencontre content de les voir. Je leur donne 60 litres de gas-oil. Un peu ému je fais deux fois le tour de leur bateau avant de les laisse sur leur coque sans mât remonter péniblement contre la houle au moteur, pendant que je tire un bord vers le nord-est.

Le 28 mai la bascule de Nord-est tant attendue ne viendra pas. Je suis dans une bulle anticyclonique. Je mets le moteur et vais vers Flores. Alternance moteur, voile. Le 30 mai je recroise Avel-Dro qui me repasse 40 litres de gas-oil qui me permettent d'aller directement sur Horta (ile de Faial).

J'aperçois alors la terre (Flores) Quel plaisir de l'apercevoir, d'imaginer que dessus des gens y vivent une vie normale, dorment dans des lits dans des maisons, amènent leurs enfants à l'école, se parlent. De voir la terre le moral remonte.

Cette soirée est magique. La mer est un miroir. Le soleil en se couchant donne des lumières fantastiques aux nuages, à l'eau soulevée au rythme de la houle. Des dauphins rentrent de la pêche, certains sautent, d'autres s'arrêtent jouer dans l'étrave du bateau. Des puffins font leurs derniers vols majestueux de vitesse et de précision au ras de l'eau. Et tout ceci dure des heures et des heures en changeant de couleur. Tout dégage une harmonie, un silence qui vous habitent. Tout est à sa place. C'est le premier jour du monde, et on se dit que c'est vraiment un hasard d'être là, et que ce spectacle généralement n'a pas de spectateur.. Et moi sur mon petit bateau je traverse tout cela lentement sans bruit, faisant en sorte de ne rien déranger... La nuit venue j'apercois des lumières et un phare sur Flores (les premières marques de vie terrienne depuis trois semaines). La mer est tellement plate que les étoiles s'y reflètent. Il faut ajouter à cela les voies lactées de plancton que forment les deux vagues d'étrave. Cette soirée et début de nuit ont été les moments les plus harmonieux que j'ai eu sur l'eau.

Dans la nuit du 31 mai j'aperçois les lumières de Faial. Le matin en passant sous le vent de l'ile j'ai les premières odeurs de terre (les foins?). Que c'est bon !. Sans vent je remets le moteur pour les derniers miles. J'ai hâte d'arriver. Je voudrais pousser le moteur à fond.. A 10 heures le 1er juin, j'accoste dans la marina d'Horta, ému et heureux d'en terminer et de l'avoir fait.

Cette transat a duré 24 jours et 20heures.

J'ai lu 12 livres.

J'ai rencontré une vingtaine de cargos,. Je me suis dérouté pour un avec qui je faisais route à collision. J'ai rencontré 3 voiliers (excepté Avel-Dro)

Dans les 2 premières semaines on aperçoit beaucoup de sargasses (algues vivant en surface) qui ont donné leur nom à cette partie d'océan au sud des Bermudes. Ensuite on aperçoit à la surface les caravelles portugaises. Ce sont des méduses avec tentacules et filaments sous l'eau, et un corps en forme de coque et de voile gonglés d'air en surface lui permettant d'utiliser le vent pour se déplacer (lentement). Elles sont de couleurs violettes translucides. On aperçoit des oiseaux pendant toute la traversée: surtout des puffins qui ont un très joli vol au ras des vagues, quelques paille-en-queues.

Dans la dernière semaine, j'ai vu beaucoup de dauphins. Quand ils ne sont pas en pêche, ils viennent jouer dans l'étrave pendant une heure et repartent. Cette année j'ai vu plusieurs femelles nager avec leurs petits à côté d'elles. J'ai vu un seul jet de baleine.

J'ai péché beaucoup de sargasses, mais pas un seul poisson, les autres bateaux non plus.

J'ai plutôt eu pas assez de vent que trop, essuyé quelques grains.

Je me suis régalé des couchers de soleil et en particulier j'ai aperçu une fois le rayon vert. J'ai raté beaucoup de lever de soleil car j'étais dans mon duvet dans la cabine. Quand je me levais la nuit j'admirais les ciels et j'ai vu disparaître au fur et à mesure la constellation de la croix du sud.

Ces longues traversées me permettent de me réapproprier le temps. Il passe à la fois vite et à la fois lentement, mais chaque minute m'appartient. Il n'y a pas grand chose à faire, mais je ne m'ennuie jamais.

Le sentiment de la solitude : J'ai voulu faire l'expérience de cette traversée en solitaire, pour me retrouver seul dans cette immensité de l'océan et de 3 semaines de navigation. En fait le sentiment de solitude a été atténué par 3 éléments.:

-J'avais un routeur à terre avec qui j'avais un échange de mail chaque jour et qui me conseillait une route.

-Avec Avel-Dro on a navigué de concert (nous sommes partis le même jour, nos bateaux sont de taille et de vitesse assez similaires, et nous avions le même routeur). Au début nous avons navigué à vue et bavardions par VHF. Puis une nuit nous nous sommes perdus de vue et hors portée VHF. Là j'ai eu un moment de solitude, quand nous nous sommes retrouvés de visu, j'étais content. Puis nous sous sommes reperdus, mais gardions contact par mail et par une conversation téléphonique chaque jour. C'était rassurant de les savoir pas trop loin ( 40 miles environ).

-Je pouvais échanger des mails assez courts. Mais cela m'a permis de garder contact avec la famille, avec d'autres bateaux partis en même temps que moi.

Malgré tout cela, quand au petit matin tout est gris, le ciel est gris, la mer est grise, le vent est gris, l'horizon est gris, et qu'il faut sortir sous la pluie pour manoeuvrer le bateau, je me sentais bien seul et bien loin de tout (bien content bde recevoir les mails d'encouragement de Marie et Patrick de Bleiz-Mor)... Par contre quand tout resplendit de lumière, la mer d'un bleu éclatant ou complètement argentée avec ses moutons tout blancs ou quand un dauphin avec son souffle me sort de ma lecture, quel bonheur que d'être là.....

Marinadestmartin

La Marina de St Martin vu du fort St Louis

coucherdesoleil

Coucher de soleil, le rayon sort une seconde plus tard.

petole

Jour de pétole.

platdusoir

Je ne me laisse pas mourir de faim.

reflet

Contrejour de gris

echangemail

Echange de mail avec le routeur.

Aveldrosansmat

Avel-Dro sans son mât. Michel dans la jupe récupère les bidons que je viens de larguer.

refletspetole

reflet dans la pétole.

trinquettearisée

Sous trinquette arisée. Il y a trente ans que je n'avais pris un ris dans un foc sous 25 noeuds de vent.

Une caravelle espagnole.

soiréemagique

Soirée magique du 29 mai.

soiréemagique2

Toujours le 29 mai.

soireemagique3

Toujours le 29 mai

Flores

La première terre aperçue : ile de Flores

dauphinsautant

Un dauphin s'amuse dans la vague d'étrave.

FaialetPico

L'ile de Faial, au second plan ile de Pico avec le sommet culminant du Portugal

surlesquais

Sur les quais décorés de Horta Nuagesahorta

NUAGES (avec la défense rouge) se repose à Horta.